Triomphe de l'Orthodoxie
1er dimanche du Grand Carême
1er dimanche du Grand Carême
Ce premier dimanche de Carême, nous faisons mémoire du rétablissement de la vénération des saintes Icônes, advenu en 843 sous le règne de Michel III, empereur de Constantinople, et de sa mère Théodora, d’éternelle mémoire, et sous le pontificat du saint patriarche et confesseur Méthode. En effet, pendant une période s'étendant sur plus de cent ans, de 726 à 775 puis de 813 à 843, les empereurs byzantins iconoclastes (mot d’origine grec signifiant « briseur d’images ») avaient interdit la vénération des icônes et même ordonné leur destruction, persécutant ceux qui défendaient les saintes Images, notamment les moines. Le rétablissement de la vénération des saintes Icônes est appelé le Triomphe de l’Orthodoxie.
Lecture de l’épître de saint Paul aux Hébreux (Héb. 11, 24-26, 32-40 ; 12, 1-2.) :
Frères, c’est par la foi que Moïse, « devenu grand », refusa d’être fils d’une fille de Pharaon, aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que de connaître l’éphémère jouissance du péché : tel un bien supérieur aux trésors de l’Égypte lui parut « l’opprobre du Christ », car il avait les yeux fixés sur la récompense. Que dire encore ? Le temps me manquerait si je voulais exposer en détail ce qui concerne Gédéon, Barak, Samson, Jephté, David, ainsi que Samuel et les prophètes, eux qui, grâce à la foi, soumirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent l’accomplissement des promesses, fermèrent la gueule des lions, éteignirent la violence du feu, échappèrent au tranchant du glaive, tirèrent force de leur faiblesse, montrèrent de la vaillance au combat, repoussèrent les invasions étrangères ; et des femmes ont recouvré, par la résurrection, leurs enfants. Quant aux autres, ils se sont laissés torturer, refusant leur délivrance afin d’obtenir une meilleure résurrection. D’autres subirent comme épreuve la dérision et les coups de fouet, ainsi que les chaînes et la prison. Ils ont été lapidés, sciés, ils ont péri par le glaive, ils sont allés çà et là, sous des peaux de mouton ou des toisons de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités, eux dont le monde était indigne, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les creux de la terre. Et, bien que leur foi leur ait valu un bon témoignage, tous ceux-là n’ont pas bénéficié de la promesse, car Dieu avait prévu pour nous un sort meilleur, afin qu’ils ne puissent pas sans nous parvenir à la perfection.
Lecture de l’Évangile selon Saint Jean (1, 43-51) :
En ce temps-là, le lendemain (du jour où Il avait donné à Simon le nom de Pierre), Jésus voulut se rendre en Galilée : Il trouve Philippe. Il lui dit : « Suis-moi ! » Philippe était de Bethsaïde, de la ville d’André et de Pierre. Philippe trouve Nathanaël et lui dit : « Celui dont ont écrit Moïse, dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé : Jésus, le fils de Joseph, celui de Nazareth. Et Nathanaël lui dit : « De Nazareth peut-il être quoi que ce soit de bon ? » Philippe lui dit : « Viens et vois ! » Jésus vit Nathanaël venir vers lui et Il dit de lui : « Voici vraiment un Israélite : en lui il n’est pas de ruse. » Nathanaël lui dit : « D’où me connais-Tu ? » Jésus lui dit en réponse : « Avant que Philippe ne t’appelât, quand tu étais sous le figuier, Je t’ai vu. » Nathanaël lui répondit : « Rabbi, Tu es en vérité le Fils de Dieu, Tu es le roi d’Israël ! » Jésus lui dit en réponse : « Parce que Je t’ai dit que Je t’ai vu sous le figuier, tu as la Foi ? Tu verras bien plus que cela ! » Et Il lui dit : « Amen ! Amen ! Je vous le dis, désormais vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’Homme ! »
C’est au cours de la période iconoclaste des VIIIe-IXe siècles que l’Église formula clairement la portée dogmatique de l’icône. En défendant les images, ce n’est pas seulement leur rôle didactique, ni leur côté esthétique que défendait l’Église orthodoxe, c’est la base même de la foi chrétienne : le dogme de l’Incarnation de Dieu. En effet, l’icône de notre Seigneur est à la fois un témoignage de son Incarnation et celui de notre confession de sa divinité. « J’ai vu l’image humaine de Dieu et mon âme est sauvée », dit saint Jean Damascène (Premier traité pour la défense des saintes icônes, chapitre 22).
D’une part, l’icône témoigne, en représentant la Personne du verbe incarné, de la réalité et de la plénitude de son Incarnation : d’autre part, nous confessons par cette image sacrée que ce « Fils de l’Homme » est réellement Dieu, la vérité révélée. Ainsi, nous voyons chez saint Pierre qui, le premier, confessa la divinité du Christ, non pas une connaissance humaine naturelle, mais une connaissance d’ordre supérieur, suivant la parole de notre Seigneur : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux (Ma. 16,17). (…)
La tradition dans l’art liturgique, comme dans l’Église elle-même, se base sur deux réalités : un fait historique d’une part, et la révélation dépassant les limites du temps d’autre part. C’est ainsi que l’image d’une fête ou d’un saint reproduit le plus fidèlement possible la réalité historique et nous ramène à son prototype, sans quoi elle n’est pas une icône. (…) D’un autre côté, une image sacrée ne représente pas simplement un événement historique ou un être humain parmi les autres ; elle nous montre de cet événement ou de cet être humain son visage éternel, nous révèle son sens dogmatique et son rang dans l’enchaînement des événements salutaires de l’économie divine. (…)
Mais si l’icône dépasse les limites du temps, elle ne rompt pas ses relations avec le monde, ne s’enferme pas en elle-même. Les saints sont toujours représentés de face ou de trois quarts vers le spectateur. Ils ne sont presque jamais vus de profil, même dans les compositions compliquées, où leur mouvement est dirigé vers le centre de la composition. Le profil, en effet, interrompt en quelque sorte la communion, il est comme un début d’absence. On le tolère dans la représentation de personnages qui n’ont pas acquis la sainteté, comme par exemple les bergers ou les mages dans l’icône de la Nativité de notre Seigneur.
Cette absence de profil est une des expressions de la relation intime entre celui qui prie et le saint représenté. (…)
Si aujourd’hui nous avons cessé de comprendre le message que nous apporte l’icône, c’est que nous avons perdu la clef de son langage. Cette clef est le sens concret et vivant de la Transfiguration, idée centrale de l’enseignement chrétien. Ainsi que disait un évêque russe du XIXe siècle, saint Ignace Braintchaninov, » la connaissance même de la capacité du corps humain à être spirituellement sanctifié est perdue par les hommes » (Essai ascétique, premier volume).
L’icône est précisément le témoignage de cette connaissance concrète, vécue de la sanctification du corps humain, de sa transfiguration. De même que la parole, mais au moyen d’images visibles, elle nous montre la créature pénétrée et déifiée par la grâce incréée. « L’homme, dont l’âme est toute devenue feu, transmet également à son corps une partie de la gloire acquise intérieurement, tout comme le feu matériel transmet son action au fer » (saint Syméon le Nouveau Théologien, sermon 83). (…)
L’icône est donc, comme nous l’avons dit, un témoignage de la déification de l’homme, de la plénitude de la vie spirituelle, une communication par l’image de ce qu’est l’homme en état de prière sanctifiée par la grâce. C’est en quelque sorte de la peinture d’après nature, mais d’après la nature rénovée, à l’aide de symboles. Elle est le chemin et le moyen ; elle est la prière même. De là, la majesté de l’icône, sa simplicité, le calme du mouvement, de là le rythme de ses lignes et de ses couleurs qui découle d’une harmonie intérieure parfaite.
Léonide Ouspensky, Mélanges de l’Institut orthodoxe français de Paris, IV, 1948.