Ce sixième dimanche de Pâques, nous célébrons le miracle de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus Christ en faveur de l’Aveugle-né.
En ces jours-là, les apôtres se rendaient à la prière, lorsque vint à leur rencontre une jeune servante, douée d’un esprit divinateur et qui, par ses oracles, procurait à ses maîtres un grand profit. S’étant mise à la suite de Paul et de Silas, elle ne cessait de crier : « Ces gens-là sont des serviteurs du Dieu très haut, qui nous annoncent une voie de salut ! » Et elle fit cela pendant plusieurs jours. A la fin, Paul, excédé, se retourna et dit à l’esprit : « Au Nom de Jésus Christ, je t’ordonne de la quitter ! » Et l’esprit sortit d’elle au même instant. Alors ses maîtres, voyant disparaître leur espérance de profit, s’en prirent à Paul et à Silas, les menèrent sur la place publique devant les magistrats et les présentèrent aux commandants : « Ces gens-là, dirent-ils, sèment le trouble dans notre cité ; ce sont des Judéens, et ils proposent des mœurs qu’il ne nous est pas permis d’accepter ni de suivre, à nous les Romains ! » Alors la foule s’ameuta contre eux ; les commandants leur firent arracher leurs vêtements et ordonnèrent de les fustiger. Quand ils eurent reçu de nombreux coups, ils les firent jeter en prison et recommandèrent au geôlier de les garder avec soin. Celui-ci, vu l’ordre reçu, les jeta dans le cachot le plus sûr, et leur mit des entraves aux pieds. Vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et louaient Dieu, et les autres prisonniers les écoutaient. Soudain se produisit un grand tremblement de terre, dont la violence ébranla les fondements de la prison, au point que toutes les portes s’ouvrirent et que les liens de tous les prisonniers se trouvèrent détachés. Tiré de son sommeil et voyant ouvertes les portes de la prison, le geôlier sortit son glaive et il allait se tuer, pensant que les prisonniers s’étaient évadés. Mais Paul, à grands cris, l’interpella et lui dit : « Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici ! » Ayant demandé de la lumière, le geôlier accourut et, tout tremblant, se jeta aux pieds de Paul et de Silas. Puis il les fit sortir et leur demanda : « Mes seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Ils lui dirent : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et les tiens ! » Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison. A l’heure même, en pleine nuit, le geôlier les prit avec lui ; il lava leurs plaies, puis aussitôt se fit baptiser, lui et les siens. Après quoi, il les fit monter dans sa maison pour y dresser une table et se réjouir avec tous les siens d’avoir cru en Dieu.
En ce temps-là, en passant, Jésus vit, assis, un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent en disant : « Maître, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents, n’ont péché, mais c’est afin qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu. Il nous faut, tant qu’il fait jour, accomplir les œuvres de celui qui m’a envoyé ; vient la nuit où nul ne peut travailler. Pendant que Je suis dans le monde, Je suis la lumière du monde. » Ayant dit cela, Jésus cracha à terre et fit de la boue avec sa salive, puis Il lui appliqua la boue sur les yeux et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé (ce qui signifie « envoyé »). » L’homme partit donc et se lava, et revint voyant.
Alors les voisins et ceux qui l’avaient vu auparavant (c’était un mendiant) dirent : « N’est-ce pas lui qui était assis et mendiait ? » Certains disaient : « C’est lui. » D’autres disaient : « Non, mais il lui ressemble. » Mais, lui, dit : « C’est moi. » Ils lui dirent donc : « Comment tes yeux se sont-ils ouverts ? » Celui-ci répondit : « L’homme appelé Jésus a fait de la boue, m’en a enduit les yeux et Il m’a dit : Va te laver à la piscine de Siloé. J’y suis donc allé, je me suis lavé et suis devenu voyant. » Ils lui dirent : « Où est-il ? » Il dit : « Je ne sais pas. »
On conduisit aux Pharisiens celui qui avait été aveugle. Or le jour où Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux, était un sabbat. Les Pharisiens lui demandèrent alors à leur tour comment il avait eu la vue. Il leur dit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Certains Pharisiens dirent alors : « Cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat. » Mais d’autres dirent : « Comment un pécheur peut-il faire de tels signes ? » Et il y eut division parmi eux. Ils dirent encore à l’aveugle : « Que dis-tu de lui, de ce qu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. » Avant d’avoir fait appeler les parents de celui qui voyait, les Judéens ne crurent cependant pas qu’aveugle il eût trouvé la vue. Et ils leur demandèrent : « Est-ce là votre fils, dont vous dites, vous, qu’il est né aveugle. Comment alors voit-il maintenant ? » Ses parents répondirent : « Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle. Comment voit-il maintenant, nous ne le savons pas, ou, qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Demandez-lui, il a l’âge de parler de lui-même. » Ses parents disaient cela par crainte des Judéens, parce que ceux-ci avaient décidé entre eux que, si quelqu’un reconnaissait Jésus comme Christ, il serait exclu de l’assemblée. C’est donc pourquoi ils dirent : « Il a l’âge, interrogez-le. » Les Pharisiens appelèrent donc une seconde fois l’homme qui avait été aveugle et lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous, nous savons que cet homme est un pécheur. » Lui, répondit alors : « Si c’est un pécheur, je ne sais pas ; je sais une chose c’est que j’étais aveugle et que, maintenant, je vois. » Ils lui dirent à nouveau : « Que t’a-t-il fait ? Comme t’a-t-il ouvert les yeux ? » Il répondit : « Je vous l’ai déjà dit : n’avez-vous pas écouté, que vous vouliez l’entendre une nouvelle fois ? Ne voudriez-vous pas, vous aussi, devenir ses disciples ? » Alors, ils l’injurièrent et dirent : « C’est toi qui es disciple de celui-là ; nous, c’est de Moïse que nous sommes disciples. Nous, nous savons que Dieu a parlé à Moïse et que Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais, celui-là, nous ne savons pas d’où il est. » L’homme leur répondit : « C’est pour cela, en effet, que je suis étonné, parce que vous ne savez pas d’où il est, et il m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais si quelqu’un est pieux et fait sa volonté, il l’écoute. Jamais, jusqu’à présent on n’a entendu dire qu’on eût ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils lui répondirent : « De naissance, tu n’es, toi, que péché, et tu nous enseignerais ? » Et ils le mirent dehors. Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé et, le rencontrant, Il lui dit : « Toi, crois-tu en le Fils de l’Homme ? » Il répondit : « Et qui est-Il, Seigneur, que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu l’as vu, et celui qui parle avec toi, c’est lui. » Il dit alors : « Je crois, Seigneur » ; et il se prosterna devant Jésus.
Jésus a regardé l’aveugle avec tant d’attention, que ses disciples l’ayant aperçu, se portèrent à lui faire cette demande : « Maître, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Question fondée sur une fausse supposition : car comment cet homme aurait-il pu commettre quelque péché avant de naître ? Pourquoi aurait-il été puni pour le péché de ses parents ? (…) Pourquoi cet homme est-il donc né aveugle ? « Afin », dit l’Écriture, « qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu » (…) Quoi ! direz-vous, cet homme a donc reçu cette disgrâce pour faire éclater la gloire de Dieu ? Mais quel mal, je vous prie, lui en est-il arrivé ? Et si le Seigneur n’avait point voulu qu’il vînt au monde, qu’auriez-vous à répliquer ? Mais moi, je dis que de cet aveuglement même, est résulté pour lui un bien : car il a vu par les yeux de l’âme. De quoi a-t-il servi aux autorités juives d’avoir des yeux ? En voyant ils ont été comme des aveugles qui ne voient point, et ils se sont attiré un plus grand supplice. Mais la cécité, quel tort a-t-elle fait à celui-ci ? Pour avoir été aveugle, il a reçu la vue. Comme donc les maux de cette vie ne sont point de vrais maux, de même les biens ne sont pas de vrais biens. Mais le péché seul est un mal, la cécité, au contraire, n’est point un mal.
– Saint Jean Chrysostome, Homélies sur l’Évangile selon saint Jean, LVI.
***
Lorsqu’il eut affaire à l’aveugle-né, ce ne fut plus par une parole, mais par un acte, qu’il lui rendit la vue : il en agit de la sorte non sans raison ni au hasard, mais afin de faire connaître la Main de Dieu qui, au commencement, avait modelé l’homme. Et c’est pourquoi, comme les disciples lui demandaient par la faute de qui, de lui-même ou de ses parents, cet homme était né aveugle, le Seigneur déclara : « Ni lui n’a péché, ni ses parents, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » Ces « œuvres de Dieu » sont le modelage de l’homme, car c’est bien par un acte qu’il avait effectué ce modelage, selon ce que dit l’Écriture : « Et Dieu prit du limon de la terre, et il modela l’homme. » C’est pour cela que le Seigneur cracha à terre, fit de la boue et en enduisit les yeux de l’aveugle, montrant par-là de quelle façon avait eu lieu le modelage originel et, pour ceux qui étaient capables de comprendre, manifestant la Main de Dieu par laquelle l’homme avait été modelé à partir du limon. Car ce que le Verbe Artisan avait omis de modeler dans le sein maternel, il l’accomplit au grand jour, « afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui » et que nous ne cherchions plus ni une autre Main par laquelle aurait été modelé l’homme, ni un autre Père, sachant que la Main de Dieu qui nous a modelés au commencement et nous modèle dans le sein maternel, cette même Main, dans les derniers temps, nous a recherchés quand nous étions perdus, a recouvré sa brebis perdue, l’a chargée sur ses épaules et l’a réintégrée avec allégresse dans le troupeau de la vie.
Que le Verbe de Dieu nous modèle dans le sein maternel, Jérémie l’affirme : « Avant de te modeler dans le ventre de ta mère, je t’ai connu, et avant que tu sois sorti de son sein, je t’ai sanctifié et je t’ai établi prophète pour les nations. » Paul dit pareillement : « Lorsqu’il plut à Celui qui m’avait mis à part dès le sein de ma mère, afin que je l’annonce parmi les gentils… »
Ainsi donc, puisque nous sommes modelés dans le sein maternel par le Verbe, ce même Verbe remodela les yeux de l’aveugle-né : il fit ainsi apparaître au grand jour Celui qui nous modèle dans le secret, car c’était bien le Verbe lui-même qui s’était rendu visible aux hommes ; il fit en même temps connaître le modelage originel d’Adam, c’est-à-dire de quelle manière Adam avait été fait et par quelle Main il avait été modelé, et il fit voir le tout à l’aide de la partie, car le Seigneur qui remodela les yeux était Celui qui avait modelé l’homme tout entier en exécutant la volonté du Père.
Et parce que, en cette chair modelée selon Adam, l’homme était tombé dans la transgression et avait besoin du bain de la régénération, le Seigneur dit à l’aveugle-né après lui avoir enduit les yeux de boue : « Va te laver à la piscine de Siloé », lui octroyant ainsi simultanément le modelage et la régénération opérée par le bain. Aussi, après s’être lavé, « s’en revint-il voyant clair », afin tout à la fois de reconnaître Celui qui l’avait modelé et d’apprendre quel était le Seigneur qui lui avait rendu la vie.
– Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, livre V.
***
Si le Seigneur voit que l’âme se rassemble en elle-même autant qu’elle le peut, qu’elle cherche et attend jour et nuit le Seigneur et crie vers lui, conformément à son précepte de prier sans cesse, en toute situation, alors il lui rendra justice, selon ses promesses, la purifiera de ses péchés et se la donnera à lui-même comme une épouse sans reproche et sans tache. Si tu crois que tout cela est vrai, ce qui est le cas, sois attentif à toi-même, vois si ton âme a trouvé la lumière conductrice, la vraie nourriture et le vrai breuvage, qu’est le Seigneur. Si tu ne les as pas, cherche nuit et jour, afin de l’obtenir. Quand tu vois le soleil, cherche le vrai Soleil, car tu es aveugle. Si tu vois la lumière, jette un regard sur ton âme, pour voir si tu as trouvé la vraie et bonne Lumière. Car tout ce qui est visible est une ombre des vraies réalités de l’âme. En effet, à côté de l’homme visible, il y en a un autre, intérieur, avec des yeux que Satan a aveuglés et des oreilles qu’il a rendues sourdes. Mais Jésus est venu pour rendre la santé à cet homme intérieur. A lui soient la gloire et la puissance, avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles. Amen.
– Saint Macaire le Grand, Homélies spirituelles, 33, 4.